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Le crâne d’enfant de la grotte de Ramioul (Flémalle)
Préface extraite du livre de Toussaint M., 2018, « Philippe-Charles Schmerling (1790-1836), à l’aube de la paléoanthropologie et de la préhistoire en Wallonie », Flémalle, édition Préhistomuseum
Schmerling, un pionnier
À l’époque où la Bible est lue littéralement dans une perspective historique, où le siècle des lumières stimule les naturalistes à chercher à comprendre ce qui nous entoure, où l’Université de Liège vient d’être créée par Guillaume d’Orange, où l’industrie du fer et du charbon commence, où la Belgique n’est pas encore née, un grand pionnier de la préhistoire s’apprête à démontrer l’impensable en ce début de xixe siècle.
Septembre 1829, pelle et pioche au poing, un homme pénètre dans une grotte du petit village mosan de Chokier (Flémalle-Liège). Une seule idée en tête : fouiller pour trouver des animaux fossiles et comprendre le mystère de leur origine.
Hiver 1829-1830, dans un vallon escarpé séparant les communes d’Engis et de Flémalle, dans la grotte du « Trou Caheur », il met au jour deux crânes humains entourés d’ossements d’animaux disparus, mélangés à des silex et ossements travaillés par la main de l’homme !
1833, après avoir investigué une soixantaine de grottes de la région liégeoise, Philippe-Charles Schmerling publie la première monographie associant paléontologie animale, paléontologie humaine, archéologie préhistorique et paléopathologie (deux volumes de 167 et 195 pages, 34 & 40 planches). Il y traite ses données, confronte ses observations et ses idées innovantes à celles publiées par une poignée de chercheurs allemands, français et anglais. Il prouve en ce début du xixe siècle l’inimaginable pour cette époque : il existe des hommes fossiles et une « humanité » avant la nôtre, avant le déluge… Il conclut : « Tout ce que nous venons de dire sur ces restes dus à la main de l’homme, et tout ce que nous avons dit sur les ossements humains, est exact et sans réplique. Le temps seul, au reste, décidera jusqu'à quel point nous avons eu raison de nous exprimer d'une manière aussi catégorique, et aucun géologue éclairé ne voudrait soutenir aujourd'hui que l'homme n'existait point à l'époque où nos cavernes ont été comblées du limon et des fossiles qu'elles recèlent » (Schmerling, 1833, vol. 1, p. 179).
L’acceptation collégiale par les milieux scientifiques de l’existence de l’homme fossile n’adviendra qu’une trentaine d’années plus tard.
Michel Toussaint, paléoanthropologue belge, nous propose le premier livre consacré à Philippe-Charles Schmerling. Il dresse un bilan objectif sur l’apport de ce premier « préhistorien » belge. Il conceptualise sa recherche en la situant dans le contexte d'autres travaux innovants de l'époque en Europe. Il nous raconte la lente admission de l’idée d’humanité fossile dans les milieux scientifiques. Il pointe sans ambiguïté les forces et les faiblesses de sa démarche scientifique, exemplaire pour l’époque. Il documente méticuleusement la « Schmerlingomanie » de certains exégètes. Il relativise enfin le légitime chauvinisme flémallois-liégeois-wallon et belge qui proclame Schmerling comme « l’Inventeur de la préhistoire ». Il nous dit : « Schmerling doit être vu comme un des maillons de la longue chaîne des chercheurs qui, dans l'Europe du début du xixe siècle, ont compris l’existence d’hommes fossiles et ont contribué au développement des diverses sciences étudiant les temps préhistoriques ».
Schmerling, un scientifique
Mais, au-delà de l’historiographie rigoureuse et très documentée qu’il nous livre, Michel Toussaint nous fait (re)découvrir un esprit et une attitude scientifique d’une étonnante modernité :
La curiosité intellectuelle
Schmerling est au fait des théories et des recherches en cours à l’époque pour contextualiser ses questionnements.
L’observation des faits sans a priori
L’expérience (de la fouille) et les observations objectives sont les bases de la démarche scientifique de Schmerling.
Le courage d’affronter l’inconnu
Schmerling cherche là où personne n’a encore cherché avant lui.
L’aptitude de penser librement
Schmerling s’exprime librement mais reste un homme de son époque.
La force de remettre en cause le système
Schmerling ose réinterroger les théories et les modes de pensée existants.
Le pouvoir de développer une pensée complexe
Schmerling décompose et recompose les paradigmes du raisonnement.
L’intelligence de séparer la science de la religion
Nulle part, dans sa monographie, Philippe-Charles Schmerling n’exprime d’opposition entre ses observations scientifiques et la religion.
À l’heure où notre société contemporaine dispose d’informations et de connaissances sans précédent, le créationnisme est en plein essor.
Il y a 185 ans, Philippe-Charles Schmerling ouvrait la voie à l’évidence de l’évolution des espèces et aujourd’hui, paradoxalement, la science est encore opposée aux croyances.
L’histoire de Philippe-Charles Schmerling nous donne à méditer sur une qualité humaine essentielle qui est la gestion du doute, et sur la place et les conséquences que le doute occupe et provoque dans notre société.
L’histoire de ce grand pionnier de la préhistoire et de la reconnaissance progressive et difficile des néandertaliens est un miroir où notre « civilisation » peut apercevoir ses propres travers. Le « délit de sale gueule » dont ont souffert les hommes fossiles illustre parfaitement la réticence de nos sociétés occidentales à accepter que l’humanité fasse partie intégrante de la nature et de son écosystème. L’humanité n’est-elle pas universelle avec des expressions culturelles très diverses ?
Schmerling, un lieu
Le « vallon Schmerling », situé aux confins de la commune de Flémalle (Awirs), à la limite de la commune d’Engis, mériterait certainement une reconnaissance au Patrimoine mondial de l’UNESCO, car il a été le théâtre d’une des plus grandes révolutions scientifiques de l’Histoire de l’humanité : la reconnaissance de l’homme fossile.
C’est là que s’est joué un des prologues d’une pièce qui se joue encore aujourd’hui face au créationnisme.
Le « vallon Schmerling » est le témoin exceptionnel des prémices d’une discipline scientifique qui deviendra la préhistoire. C’est aussi l’endroit où fut exhumé le premier néandertalien dont l’histoire scientifique, riche en rebondissements, illustre concrètement la lente mutation de la cosmogonie de notre société occidentale. C’est un lieu propice à la méditation sur le sens de notre existence humaine, un espace patrimonial pour une réflexion philosophique sur la place de la science dans notre société.
Le Préhistomuseum a été créé par la Commune de Flémalle et Les Chercheurs de la Wallonie à moins d’un kilomètre à vol d’oiseau du « vallon Schmerling », au pied de la grotte de Ramioul et à quelques centaines de mètres de la grotte qui joua également un rôle essentiel pour la confirmation des hypothèses de Schmerling par le grand scientifique anglais Charles Lyell.
Avec ses expositions, ses expériences et ses animations, il a pour ambition de permettre à chacun de faire l’expérience de l’humanité par la rencontre avec la préhistoire et l’archéologie, de découvrir notre patrimoine et ses ressources pour comprendre l’écosystème de l’humanité.
Philippe-Charles Schmerling, par la reconnaissance de l’homme fossile et les enjeux de cette reconnaissance, est au cœur de la médiation culturelle et scientifique du Musée. Nous espérons qu’un jour prochain, le Préhistomuseum fera aussi découvrir à ses visiteurs « le vallon Schmerling ».
C’est pourquoi la publication des recherches menées par Michel Toussaint sur un des plus grands pionniers de la préhistoire revêt une importance toute particulière pour notre institution située, grâce à Philippe-Charles Schmerling, au « berceau mondial de la préhistoire ».
Fernand Collin,
Directeur du Préhistomuseum
Le crâne d’enfant de la grotte de Ramioul (Flémalle)